dimanche 4 novembre 2018

Le nimbe sassanide #07


Fig. 1 - Relief rupestre de Taq-i Bustân, Iran. Paroi gauche du grand iwan. © The Circle of Ancien Iranian Studies.

VI. Une représentation en lien avec l’âme ?


Doit-on alors intégrer dans la figure complexe du souverain à cheval une donnée qui fait écho à un modèle périphérique à l’empire perse et dont la valeur est pour le coup non plus charismatique mais bien magique ? N’y a-t-il pas eu perméabilité entre le substrat populaire et l’art de cour, intégrant autant de magie que de royauté dans le nimbe des souverains, à l’image de Yima, homme, roi(1) et démiurge ? Il faut donc supposer la chose suivante : via des centres frontaliers comme Doura-Europos, la figure équestre, modèle oriental répandu, se serait intégrée dans une figure royale dont la valeur mithriaque a été démontrée. Cette figure équestre aurait touché aussi le domaine populaire, resurgissant probablement dans une glyptique d’inspiration pareillement populaire. Rapport double voire triple : influence gréco-parthe (mithriaque) et probablement influence byzantine (apotropaïque) pour une figure à la fois royale et magique. La coïncidence ne ferait qu’illustrer un modèle largement répandu, mettant en œuvre des solutions plastiques dans lesquelles les marques de nature supra-humaine, selon qu’elles portent sur le charisme royal ou les vertus apotropaïques, se résolvent dans une seule et unique figure. Il semble aussi que la réforme doctrinaire sassanide, qui a fait du xvarrah une vertu dont la destination est d’affirmer prioritairement la nature exceptionnelle du souverain, s’est livrée à la captation de modèles kushans. Il est donc fort possible que le corpus de l’illumination dans l’art du Gandhâra se soit adapté sans mal au cadre nationaliste de la revendication  sassanide. Le passage du dieu à l’homme a pu ainsi sopérer par ce biais « gréco-bouddhique ». On serait en présence ici, pour reprendre une notion d’Aby Warburg, d’une Pathosformel consistant en un canon au succès considérable : celui de la gloire et de l’aide figurées par un personnage équestre. On serait tenté de désigner une nouvelle fois les point communs à ces deux types de nimbe radial : l’aide et le profit, idée double qui justifie, au même titre que le nimbe à « flammes léchantes », la présence du xvarrah dans le nimbe royal. Mais, du fait de sa fonction d’aide à la fois vertueuse et conjuratoire, on peut donc se demander si le nimbe sassanide se borne à porter la seule nature symbolique du xvarrah. Il s’inscrit dans des objets (plat en argent, sceau-talisman) où limage du charisme est également assimilable à une force active, transmissible par cette image. Force dont lorigine est située dans la nature royale ou divine des personnages représentés. C’est cet aspect de force ou de vertu transmissibles qui expliquerait la présence non systématique du nimbe autour de la tête des souverains. En effet, comme on l’a signalé plus haut, d’autres éléments viennent concurrencer le nimbe dans le procès de représentation du xvarrah : on a vu l’image de la montagne, celle aussi du Sênmurw.

Un autre exemplaire donne à voir cependant une fonction moins « utilitaire » que celle que remplit l’art de la vaisselle en argent et livre à ce titre une extraordinaire figure composite.
Il s’agit bien évidemment de la sculpture rupestre de Taq-i Bustân qui, si elle relève d’un thème classique en Perse Sassanide, celui de la chasse, donne à voir une étonnante représentation du souverain (Fig. 1) : celui-ci apparaîtrait sous deux formes, l’une humaine, l’autre figurant, d’après K. Tanabe, la fravashi du souverain, en quelque sorte, la partie préexistante de l’âme que tout homme détient et qui, par le concours des deux autres constituants de l’âme, urvan (av. rûvan) et daêna, régule le corps de l’homme et lui garantit ainsi la vie : « There are depicted two princely figures engaging in hunting. One of them is nimbate while the other is without nimbus. The former holding a bow is, according to my hypothesis, the fravashi of the other shooting king. Both figures have almost the same appearances »(2).Divinisée au même titre que la ruvân (Yasna 71 : « nous adorons notre propre ruvân, nous adorons notre propre fravashi »), la fravashi garde néanmoins un statut abstrait comme on l’a vu précédemment dans le cas des Amesha Spenta. Philippe Gignoux a relevé que la fravashi était investie de trois fonctions : intervention dans la formation de l’embryon, digestion et respiration. L’idée que la fravashi détiendrait des facultés de régulation physiologique n’est pas une position originellement mazdéenne, mais semble avoir été d’abord un postulat manichéen (Traité parthe sur l’âme). C’est un fait que la fonction d’embryogenèse détenue par la fravashi a été confiée au dieu de la lumière, roshn yazad, transfert surprenant selon Gignoux, dans la mesure où c’est au feu (comme on l’a vu avec la monnaie de Khosro II) qu’est confiée en principe la fonction de croissance. S’il est avéré que le personnage nimbé est bien le double du souverain, on pourrait alors l’identifier effectivement comme étant la fravashi, forme divinisée et préexistante de l’âme du roi qui préside, dans sa version rigoureusement mazdéenne de dieu de la lumière, à une régularité qui excède le champ de l’équilibre physiologique : en effet, contre Jean Kellens, qui privilégie une lecture rituelle (celle-là même qui sera nécessaire au défunt pour retrouver ses facultés motrices et de communication)(3), Philippe Gignoux défend la thèse que l’éthique occupe une place capitale dans l’accession de l’âme au paradis. Ce serait en quelque sorte la lecture supplémentaire qu’auraient accolée les mazdéens aux conceptions physiologiques qu’ils héritèrent des positions manichéistes. La priorité accordée au juste qui aurait suivi le triple précepte bonne pensée, bonne parole, bonne action entraînerait alors une équation âme préexistante (fravashi)/équilibre physiologique et éthique/nature divine de la croissance (lumière). A cela s’ajoute une figure fondamentale qui viendrait alors éclairer l’idée que le nimbe n’est qu’un élément parmi d’autres dans l’élaboration de la figure du roi : le Sênmurw, cet être mythique dont on a vu l’association avec le xvarrah, et qui apparaît sur le manteau royal, venant ainsi confirmer la thèse d’une symbolique complète, touchant autant à la physiologie qu’à la légitimité. C'est ce que confirme le texte tardif du Dênkart : « ce qui est le meilleur pour les rois dans leur royauté, c’est d’être grands en xvarrah et par l’asn xrat (nota : la "sagesse innée") qui engendre la loi. (…) Les rois immortalisent la force de la royauté »(4). Peut-on lire en filigrane dans l’iconographie sassanide une position proche de celle du rasa indien, capable d’arrêter le samsâra (la croissance) dans une œuvre, arrêt qui a pour vertu de livrer à celui qui la regarde toutes les possibilités de s’identifier à celle-ci ?(5) Cela nous ramènerait alors aux positions de K. Tanabe. La question reste bien évidemment ouverte.




Bibliographie.

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Notes :
1 Une thèse généralement admise mais dont J. Kellens rappelle qu’elle n’a pas vraiment été vérifiée.
2 Katsumi Tanabe, « The identification of the King of Kings in the upper register of the Larger Grotte, Taq-i Bustân : Ardashir III Restated », Transoxiana, 2003, p. 3. Voir aussi « A study of the Sasanian disk-nimbus : farewell to its xvarnah-theory », Bulletin of the Ancient Orient Museum 6, 1984.
3 Jean Kellens, « l’âme entre le cadavre et le paradis », in Journal Asiatique, tome 283, n°1, Paris, Société Asiatique, 1995, pp. 19-56.
4 Jean de Menasce, Le troisième livre du Dênkart, traduit du pehlevi, Paris, Klincksieck, 1973, p. 279.
5 Mario Bussagli, L'art du Gandhâra, Torino, Editrice Torinese, 1984, Paris, Librairie Générale Française, 1996 pour la traduction française, p. 192.

© Domaines de l’art

jeudi 13 septembre 2018

Le nimbe sassanide #06


Fig. 1 - Relief rupestre de Taq-i Bustân, Iran. Scène d'investiture du roi des rois. Période sassanide. D'après K.Tanabe, Transoxiana, 2003.

Fig. 2 - Art byzantin. Amulette de cuivre argenté, en forme de médaille. D'après G. Schlumberger, Revue des Etudes Grecques, tome V, 1892.

V. La condensation des modèles.


C’est là que surgissent une nouvelle fois des points de divergence. Ceux-ci portent sur la nature aérienne et la participation à l’investiture de certaines figures. On remarquera qu’en vertu de leur assimilation à la figure de Mithra, les représentations des souverains Sassanides laissent transparaître la descendance astrale de ces derniers. On voit bien qu'un tel rapport confirme cet aspect particulier à la nature divine du roi des rois. Selon A. Parpola (1), le motif trifolié qu’on distingue sur le corymbos (ou globe) surmontant la couronne du roi des rois (et que M. Collinet-Guérin qualifie, on l’a vu, de « pré-nimbe ») et dont on voit un exemplaire à Taq-i Bustân, représenterait trois étoiles ou trois disques (Fig. 1) : ce motif est particulièrement visible dans le nimbe entourant le chef de Yazdgard 1er (399-421, voir illustration en #01). L’interprétation de ce motif trifolié se heurte ici à plusieurs difficultés. Si d’un côté A. Parpola estime qu’il remonte à des origines mésopotamiennes, attestant alors l’importance de l’astrologie dans l’identification de la nature divine du souverain, Katsumi Tanabe relève également d’autres éléments triples dont le sens serait plus spécifiquement indo-iranien. Le pendentif à triple ovale porté par Ahura Mazdâ dans la scène d’investiture de Taq-i Bustân signifierait ainsi un rappel à l’idéologie des trois fonctions (figurées par les divinités correspondantes) ainsi qu’à l’éthique zoroastrienne de la bonne pensée, de la bonne parole et de la bonne action. L’assimilation à la tri-fonctionnalité ne coule pas pour autant de source. Comme le rappelle Jean Kellens, on ne peut aussi facilement replacer le panthéon dans le système développé par S. Wikander et G. Dumézil(2). Un constat s'impose cependant : il semble que ces attributs soient systématiquement associés à l’anneau entérinant l’investiture que le souverain reçoit des divinités (Anahita et Ahura Mazdâ pour Koshro II ou Ardashir III, Ahura Mazdâ pour Ardashir II).

Faut-il penser que la récurrence de cette association dans la représentation de deux Nikè ou Khvanindo au-dessus de la scène d’investiture laisse entrevoir une condensation de plusieurs attributs royaux qui se résout sous le concept du xvarenah / xvarrah ? En effet, l’anneau d’investiture comme le pendentif à trois ovales sont portés par ces divinités ailées (ce qui renvoie à la figure ailée dans les scènes royales Achéménides que l’on a vues précédemment). Mais si l’on veut débusquer une condensation délibérée, c’est plutôt dans la couronne qu’il faut la trouver. On pourrait se demander à ce titre si les Sassanides n’ont pas tenu à réunir dans leur couronne, par des combinaisons variées selon les rois, les deux figures du soleil et de la lune que les Achéménides s’étaient efforcés, eux, de séparer, cela pour des raisons de priorité accordée à la nature solaire d’Ahura Mazdâ (et à son corollaire mithriaque) (3).Pour K. Tanabe, il ne fait aucun doute que l’anneau porté par les Nikè soit, du fait de la nature aérienne de ces divinités, l’image du xvarenah. Thèse qui dépendrait en partie de présupposés relatifs à l’identification du farnah achéménide avec l’anneau ailé survolant le souverain (et son avatar parthe) et dont on a vu qu’elle ne pouvait être aussi clairement établie. Rappelons que d’après G. Gnoli, la thèse selon laquelle le xvarenah serait figuré par l’anneau n’est pas convaincante(4). Réserve d’autant plus justifiée que, on l’a vu, une éventuelle influence directe de l’art grec n’est pas à exclure, rendant caduque la valeur spécifiquement iranienne d’une représentation de la victoire. Ces influences, rappelle Jean Gagé analysant la représentation des Victoires en forme de Nikè sur les bas-reliefs de Sapor, « pourraient s’expliquer, non seulement par le fait que le premier art sassanide ne rejeta pas tout de l’art parthe – or, celui-ci avait largement accueilli des formes helléniques, – mais par le rôle même que Sapor aima donner à ses prisonniers d’Edesse : les ayant déportés au fond de la Perside, la tradition iranienne a retenu qu’il en employa un bon nombre à construire là des barrages… Il ne craignait pas de reconnaître les habiletés techniques de ses vaincus »(5).
Bien que la nature du souverain soit divine, c’est la « bonne fortune » qui confère ou non au roi la splendeur divine du xvarenah. La « précarité » de cet octroi est, on l’a vu, mentionnée dans la geste de Yima(6). Si un dénominateur commun au disque ailé achéménide (qualifié de pré-nimbe par M. Collinet-Guérin) et à l’iconographie sassanide devait être établi, il porterait non sur le xvarenah même (puisqu’on a vu plus haut que la thèse du disque ailé comme figure du farnah n’est pas vraiment fondée) mais sur la précarité du bénéfice divin. Dans le premier cas il s’agit d’une aide, dans le deuxième d’une fortune. Le souverain sassanide est nimbé d’un halo solaire, particularité qu'il est tentant de mettre en perspective avec la personne de Yima, fils de Vivanhan, le soleil. Mais la nature de Yima n’est pas que solaire, elle est démiurgique, complétant en quelque sorte la fonction divine du roi des rois : fonction de souverain et de juge, mais aussi fonction de créateur. Alors que le pouvoir divin s’exerçait chez Mithra par un acte d’autorité et de contractualité, le pouvoir de Yima dépend d’un ordre cosmologique : Yima est un homme, contrairement à Mithra, et sa mission, de haute responsabilité, de faire croître le monde à l’aide d’objets synonymes de xshathra, de force magique (la baguette et le cor), l’expose au risque de faillir. Ce qui se produit. Refus de la mortalité, défense de l’immortalité : la remise en cause du projet d’Ahura Mazdâ d’instaurer un cycle biologique a pour conséquence la « confiscation » de la force d’abondance aux dépens de Yima et la condamnation de celui-ci à vivre et à périr dans la misère du monde(7).

On peut donc se demander si cette « habitation » de la fonction ne justifie pas le passage d’un nimbe en rayons exocycliques (émanation visible dans les figures de Mithra) à un nimbe en rayons endocycliques à franges (pré-nimbes, type de base III, B 13 et A 2, selon la classification de M. Collinet-Guérin), qui pourrait alors se distinguer du premier nimbe par l’octroi provisoire d’une force magique ou royale. Ce serait aller trop vite en besogne. Il faut voir dans un premier temps que le lien qu’établit Marthe Collinet-Guérin entre le corymbe et la couronne de feu semble abusif. Ne tenant pas compte de l’existence des nimbes circulaires visibles dans la vaisselle en argent, elle ne retient que les exemplaires en « flammes léchantes ». L’hypothèse d’un rapprochement entre la divinité et l’homme est motivée par l’idée que le buste du dieu entouré de flammes induirait une substitution du souverain à ce dieu(8). Elle a été réfutée depuis par Rika Gyselen(9). Cette dernière souligne d’ailleurs une certaine cohérence dans la distribution des motifs nimbés. Selon la nature des figures, les nimbes sont différents : héliocéphale à rayons exocycliques, en « flammes léchantes », radial circulaire. Ils semblent ainsi présentés suivant une codification précise : Le dieu solaire, essentiellement représenté sous les traits de Mithra, conserve ainsi son apparence héliocéphale par le recours à des éléments exocycliques si caractéristiques qu’ils semblent même avoir gagné en autonomie : « on voit bien que les rayons solaires autour de sa tête sont très différents des flammes sur les monnaies. Les rayons sont toujours placés autour de la tête, à intervalles réguliers, pointant perpendiculairement. Sur quelques rares représentations les rayons sortent directement de la tête – sur le relief d’investiture d’Ardashir II à Taq-i Bustân et sur un sceau – , mais la plupart du temps les rayons sont placés sur une auréole entourant la tête »(10).


Les nimbes en « flammes léchantes », quant à eux, semblent destinés à identifier le dieu du feu, Adur. On a constaté que la présence d’un tel dieu au revers des pièces d’argent de Khosro II avait un caractère exceptionnel : ces pièces célèbrent en effet le retour au pouvoir de ce souverain prestigieux qui fait suite aux victoires sur les armées byzantines. On s’est demandé si la représentation d’un dieu nimbé de flammes n'entendait pas, par une particularité iconographique fixant en quelque sorte l’identification nationaliste perse, répondre à la figure de l’empereur byzantin(11). C’est ce que pensaient, suivant des voies différentes, Rika Gyselen et Malek Mehdi(12). Citons R. Gyselen : « On peut penser que l’émission de ces monnaies avec le buste nimbé de flammes a eu un rapport étroit avec l’idée que la dynastie sassanide souhaite diffuser d’elle-même à ce moment, surtout en face d’un monnayage d’or byzantin qui se christianise d’une façon systématique. En effet, avec l’avènement de l’empereur Héraclius, la croix sur degré devient désormais le motif canonique du revers des monnaies d’or byzantines tandis que l’avers porte le buste impérial de face avec un diadème invariablement surmonté d’une croix. Il ne semble pas exclu qu’en face de ce radicalisme religieux et dynastique exprimé par le monnayage byzantin, le roi sassanide cherche également à mettre en avant les particularismes de son régime. Et c’est probablement dans cette direction qu’il faut chercher l’explication de l’iconographie qui figure sur l’avers et le revers de ces drahms à tête nimbée de flammes »(13). Or Rika Gyselen semble désormais considérer cette hypothèse « à présent de plus en plus improbable »(14).On voit donc qu’à la différence du nimbe radial mithriaque, le nimbe en flammes pourrait être une création sassanide ad hoc. En effet, dans la mesure où la motivation d’une réponse à l’iconographie byzantine décelable dans la représentation en « flammes léchantes » est désormais une thèse fragilisée, se renforce parallèlement l’idée que l’originalité sassanide de cette figure s’appuie sur la célébration d’une autre reconquête : celle du xvarrah, notion spécifiquement perse. S’il n’existe aucun lien entre ce type de représentation avec l’iconographie byzantine, ce modèle à « flammes léchantes » semble en revanche avoir été repris dans la numismatique kushane. Le lien entre xvarrah, faute (Yima) et feu est clair puisque le feu a incontestablement une valeur judiciaire, morale et spirituelle. L’accusation de briser le contrat (Mithra) entraîne la mise à l’épreuve et c’est l’ordalie par le feu qui constitue la principale peine (d'autres ordalies font appel à la lance) .
La sigillographie nous a révélé des représentations supposées (d’après Rika Gyselen) du dieu Adur, sans qu’on puisse pour autant identifier à quelle classe ce feu personnifié se rapportait. Le buste de face nimbé de feu est un modèle qui apparaît sous plusieurs exemplaires à l’époque de Khosrow II(15). Est-ce un hasard, au moment où, en cette période de faste impérial, on assiste à une multiplication des représentations de face, aussi bien dans l’art mineur de la vaisselle, que dans l’émission des sceaux ? L’auréole de feu entourant la face du sceau BnF C 2971 indique clairement la nature divine du personnage imberbe. L’absence de pilosité en effet est la marque d’un être qu’on peut assimiler à un yazd. Mais c’est la présence même du visage à l’intérieur du feu qui lève toute ambiguïté : la nature sacrée du feu interdit tout contact au risque de la souillure et nécessite le port du padâm, voile couvrant le nez, la bouche et les cheveux, comme le montre le sceau D 3404 représentant un prêtre zoroastrien. La figure de face, imberbe et auréolée de feu, est donc celle d’un dieu, ou du moins de la personnification d’un principe. Elle apparaît également sur un dinar contemporain et semble confirmer la conjonction du buste nimbé de feu (ou de lumière ?) et du xvarrah dont il est dit à l’avers qu’il a crû grâce à « Khosrow, roi des rois » (BnF, Inv. 1973-I-339). On voit ici qu’un lien textuel apparaît et qu’il est particulièrement précieux, puisqu’il prouve l'existence du rapport entre la vertu et les éléments ignés. Le cas est trop rare pour ne pas être signalé. Or, le fait que ce xvarrah ait « augmenté », comme il est précisé sur la monnaie (xvarrah abzûd), en suppose la représentation. Le xvarrah, « d’un point de vue iconographique, (…) en tant que principe, pose problème à représenter. Les artistes Sassanides confrontés à la représentation d’une notion si importante ont dû chercher un support matériel pour évoquer le caractère lumineux du xvarrah : rayons du soleil, astres, flammes… »(16).Mais alors, quid du dernier modèle de nimbe, visible sur la vaisselle en argent et sur le relief rupestre de Taq-i Bustân ? Nous ne sommes plus là en présence de figures où la substitution au souverain fait l’objet depuis Marthe Collinet-Guérin de conjectures. Le nimbe est cette fois-ci visible sur la figure même du Roi des Rois. On a vu que l’identification mithriaque a été établie, mais de deux manières : l’une où les rayons exocycliques sont réservés au seul dieu Mithra, l’autre où la référence à Mithra s’inscrit indirectement dans les figures nimbés des souverains ; on a vu aussi que la figuration du xvarrah a finalement trouvé sa solution « céphalique » par un motif igné original (si tant est qu’une quelconque figuration ait jamais été fixée avant les Sassanides) : reste le problème posé par un nimbe circulaire aux contours pointillés (voire en grènetis, identiques aux contours de monnaies, comme dans la représentation du nimbe « en plateau » de Khosro I) visible dans un double contexte ostentatoire et sacro-magique. Plusieurs questions se posent alors : aurait-on réservé aux plats en argent, vaisselle d’apparat destinée à être offerte et à profiter à ceux qui la détiennent, une représentation plus condensée du souverain avec son xvarrah, un lien plus complexe réunissant la victoire et la précarité ? A-t-on réservé à une figure humaine la solution plastique d’une vertu qui n’émane pas de l’homme (possibilité réservée au dieu) mais qui malgré tout l’habite ? Le nimbe circulaire a-t-il été employé comme marque spéciale recouvrant l’identité générale d’un dieu-héros-souverain engagé dans la marche du monde ?Que dire aussi d’un aspect particulier du nimbe radial que nous n’avons pas encore abordé, celui du personnage figurant non plus un roi mais un héros ou un dieu protecteur ? En effet, la glyptique sassanide offre plusieurs exemplaires d’un personnage équestre dont la fonction est indéniablement apotropaïque : sceau magique destiné à conjurer le « mauvais œil » (οφθαλμος πολυπαθης, opthalmos polüpathes), l’objet en question relance le problème des influences. Selon Rodolphe Guilland, « la magie était [à Byzance] (…) une contamination orientale et plus particulièrement iranienne »(17). Il ajoute : « contre ces maléfices, outre les exorcismes (…), on avait recours à des talismans et à des amulettes, que l’on portait attachés autour du cou, des mains et même des pieds. Il y avait ainsi des médailles gravées de formules diverses pour chasser les démons ou pour combattre les maladies. Un certain carré magique, sans signification apparente, utilisé en Orient comme en Occident, passait pour avoir une influence salutaire et efficace »(18). Cette pratique conjuratoire ou apotropaïque, au même titre que l’astrologie, prend ainsi des formes identiques dans l’empire byzantin et dans l’empire sassanide, et diffuse ses modèles sans vraiment souffrir des tensions géopolitiques(19). Les sceaux-amulettes sassanides mettent ainsi en scène des démons immobilisés dans des carrés ou attachés à des poteaux(20). De nombreux sceaux témoignent d’une « réalité multiculturelle » selon le mot de R. Gyselen qui se manifeste, notamment, à travers des symboles chrétiens ou judaïques : la croix en fait partie. Dans un article consacré au « cavalier nimbé », Maria Rita Magistro montre que la tradition hébraïque qui consistait à figurer Salomon nanti de la faculté de terrasser le démon a été reprise par la pratique populaire byzantine(21). Une circulation de cette imagerie à travers l’Orient a manifestement eu lieu : le sceau sassanide issu d’une collection privée qui fait l’objet de son étude présente ainsi un cavalier nimbé arborant une croix latine. Ces amulettes d’origine variée sont connues depuis longtemps. Une « amulette de cuivre argenté, en forme de médaille, acquise au bazar de Smyrne » (Fig. 2), est détaillée par Gustave Schlumberger de la manière suivante : « Sur le droit, légende circulaire : ΣΦΡΑΓΙΣ ΣΟΛΟΜΟΝΟΣ ΑΠΟΔΙΟΞΟΝ ΠΑΝ ΚΑΚΟΝ ΑΠΟ ΤΟΥ ΦΟΡΟΥΝΤΟ(ς) Sceau de Salomon, écarte tout mal de celui qui (te) porte (…). Rev. (…) Dans le champ : Salomon nimbé, les cheveux ras, dans un costume militaire antique à écharpe flottante, à jupe plissée, rappelant saint Georges, frappant à la bouche, de sa lance à hampe cruciforme, au galop de son cheval, la même femme à longue chevelure, couchée à terre, emmaillottée dans sa jupe. (…) Le nimbe qui entoure la tête de Salomon ne doit point étonner. Dans tout l’Orient chrétien, on considérait Salomon et les rois de Juda comme des saints, et on sait le respect extraordinaire que porte l’Eglise grecque aux grands personnages de l’Ancien Testament qui sont constamment figurés avec le nimbe et sont appelés saint Adam, saint Abraham, etc. »(22). On est bien évidemment frappé par la correspondance de cette description avec celle que M. R. Magistro fait du sceau sassanide ellipsoïdal appartenant à une collection privée. Outre l’inscription en pehlevi dont la translittération donne : (y)zncn(s)y OLE p’sy, et qui a été traduite par « à lui/par lui, protection » (traduction : Philippe Gignoux), d’autres indices iconographiques viennent coïncider avec l’amulette byzantine : « la testa è circoscritta da un nimbo raggiato. Indossa un abito attillato, composto da blusa e pantaloni cinti alla vita da une doppia stringa. La blusa è solcata da due bande verticali di galloni. I pantaloni lungo il profilo del polpaccio fino al tallone sono bordati da una frangia a dente di sega. Con la mano dx. tiene una croce latina »(23). Il semble que le chemin emprunté par cette figure ait gagné in fine le substrat populaire sassanide (d’autant plus que la rareté des représentations en Iran, contrairement à celles que nous a laissées l’empire Byzantin, confirmerait la direction de l’influence). M. R. Magistro ne dit rien du nimbe proprement dit. Elle semble adhérer à la thèse de Bonner qui voyait dans le nimbe une influence égyptienne issue de la figure du Pneforos (note 53). Cependant il est opportun de rapporter la remarque que M. Collinet-Guérin fait au sujet du nimbe byzantin : « nous ne pouvons oublier les preuves de l’héritage gréco-romain en faveur du nimbe byzantin qu’il faut aller chercher sur les murs de Doura ; on peut même affirmer que, non seulement Doura a conservé dans ses sables le nimbe gréco-romain, ancêtre du nimbe byzantin, mais elle a gardé le symbolisme judéo-chrétien qui sera encore observé dans l’iconographie byzantine »(24), dernier point qui s’associe à la question de la filiation du nimbe byzantin soulevée déjà par G. Schlumberger.


Notes :
1 A. Parpola, The Sky-Garment, Helsinki, 1985, pp. 21-29.
2 Jean Kellens, Zoroastre et l’Avesta ancien, quatre leçons au Collège de France, Paris, éditions Peeters, 1991, p. 28-29.
3 Cf. Bruno Jacobs, op. cit., p. 61 : « Unter jenen vier Symbolen, der Flügelscheibe, dem Mann im Flügelring, dem Mondgott Mâ und der Halbfigur mit vier Flügeln, sind folgende nicht kombinierbar ».
4 Gherardo Gnoli, Article « Farr(ah), xvarenah », in Yarshater Ehsan, ed., Encyclopaedia Iranica.
5 Jean Gagé, op. cit., pp. 129-130.
6 Albert Grünwedel, Die Teufel des Avesta und ihre Beziehungen zur Ikonographie des Buddhismus Zentral-Asiens, Berlin, Otto Elsner Verlagsgesellschaft M. B. H. 1924, p. 76. « Da der Becher Yimas der Erde entspricht als Gegenstück der Sonne, so muß die halbe Scheibe (der Halbkreis), die den Arm auf Fig. 19 anstatt des Ecks begleitet, das Symbol der Sonne selbst sein und der Arm kann dann nur die aus dem ewigen Lichte herabkommende königliche Macht oder, wie die Avesta-Übersetzer sagen, die mazdähgeschaffene unnahbare Herrlichkeit, die königliche Majestät, welche sich als Nimbus auf die arischen Könige niederläßt, sein. »
7 Jean Kellens, « Promenade dans les Yashts à la lumière de travaux récents (suite) », Annuaire du Collège de France 1999-2000, Paris, 2001, p. 729.
8 Marthe Collinet-Guérin, op. cit., p. 69.
9 Rika Gyselen, « Un dieu nimbé de flammes d’époque Sassanide », Iranica Antiqua, vol. XXXV, 2000, p. 305.
10 ibid., p. 304.
11 Cf. Jean Wirth, op. cit., p. 11 : « Dans l'art byzantin, le nimbe circulaire est toujours attribué à l'empereur et aux saints sans la moindre distinction. Il ne désigne donc pas la sainteté à proprement parler, mais signale le portrait de l'empereur vivant et des saints défunts à l'intérieur de l'image narrative. »
12 Malek, Mehdi, « The Sasanian King Khusrau II (AD 590/1-628) and Anâhita », Nâme-ye Irân-e Bâstân 2/1, 2002 (paru en 2003), pp. 23-40, pl. 1-3
13 Rika Gyselen, op. cit. p. 296.
14 Rika Gyselen. Malek, Mehdi, « The Sasanian King Khusrau II (AD 590/1-628) and Anâhita », Nâme-ye Irân-e Bâstân 2/1, 2002 (paru en 2003), pp. 23-40, pl. 1-3, in Abstracta Iranica, Volume 25, 2002.
15 Sceau avec représentation du Dieu Adur (?), ellipsoïde en agate zonée, 0,030 x 0,0357 x 0,027, Paris, BnF, département des Monnaies, Médailles et Antiques, Inv. C 2971 (1849), in Françoise Demange, ed., Les Perses Sassanides. Fastes d’un empire oublié, catalogue de l’exposition, Paris, Editions Findakly, 2006., p. 208.
16 Rika Gyselen, ibid., p. 306.
17 Rodolphe Guilland, « La fin de l’empire romain universel en Orient (385-632) » in R. Grousset et E. G. Léonard ed., Histoire Universelle, tome I, Des origines à l’Islam, Encyclopédie de la Pléiade, Paris, Editions Gallimard, 1956, p. 1200.
18 ibid. , p. 1201.
19 Cf. Jacques Maître au sujet de Henri Stierlin, « L'Astrologie et le pouvoir. De Platon à Newton », Archives des sciences sociales des religions, n° 65-2, 1988, p. 306 : « H.S. argumente en faveur d’une hypothèse maximaliste concernant la référence à l’astrologie dans la légitimation et l’exercice du pouvoir monarchique hellénistique et l’empire romain avec prolongement d’un côté vers les Sassanides, d’un autre vers Byzance et l’Islam, modèles repris par les princes de la Renaissance ».
20 Sceaux 10.D.1 à 10.D.24, planches III à V, in Rika Gyselen, Catalogue des sceaux, camées et bulles sassanides, tome I, Collection générale, Paris, Bibliothèque Nationale, 1993, voir introduction pp. 39-40, Voir cat. 152 in Françoise Demange, op. cit., pp. 205-206. Voir aussi sceaux 10.14 à 10.17, planche IV, in Philippe Gignoux et Rika Gyselen, Bulles et sceaux sassanides de diverses collections, Paris, Association pour l’avancement des études iraniennes, 1987.
21 Maria Rita Magistro, « Alcuni aspetti della glittica sacromagica sasanide : il “cavaliere nimbato” », Studia Iranica, n° 29/2, 2000, p. 182 : « Salomone nella tradizione giudaica, o Sisinnio frequentemente citato nelle iscrizioni della tradizione bizantina ».
22 Gustave Schlumberger, « Amulettes byzantins anciens, destinés à combattre les maléfices et maladies », Revue des Etudes Grecques, tome V, 1892, pp. 74-75. Voir aussi M.S. Gsell, « Chronique archéologique africaine », Mélanges d'archéologie et d'histoire, n° 18, 1898, p. 104 : « Une amulette en bronze, de l'époque byzantine, découverte à Carthage par M. Delattre, a été publiée par M. Babelon. On y voit, d'un côté, un archange à cheval, chassant un démon ; de l'autre côté, apparaît Salomon à cheval, nimbé et armé d'une lance à l'aide de laquelle il transperce le démon de la maladie ou du maléfice à conjurer ».
23 Maria Rita Magistro, op. cit. p. 171.
24 M. Collinet-Guérin, op. cit. p. 368.

© Domaines de l’art

mercredi 8 août 2018

Le nimbe sassanide #05


Fig. 1 - Plat en argent, représentation de Firuz ou de Khosro I à la chasse. Période sassanide, 5e-6e siècle. Metropolitan Museum of Art, New York, © The Circle of Ancien Iranian Studies.

Fig. 2 - Peinture murale, Mithraeum romain à Doura-Europos. © The Circle of Ancien Iranian Studies.

Fig. 3 - Tarse, monnaie de Gordien III (revers), d’après G. F. Hill, Catalogue of Greek coins in the British Museum, Lycaonia, Isauria and Cilicia, Londres (F. Grenet, Topoi. Orient-Occident, vol. 11).


Fig. 4 - Plaque en stuc, cavalier radié chevauchant un cerf, Châl Tarkhân, d'après Thompson, Stucco from Chal Tarkhan Eshqabad, Pl. X, 1 (A. D. Bivar, "The Royal Hunter", Res Orientales VII).

IV. L’incidence mithriaque sur les représentations sassanides.

Pour suivre le parcours des représentations royales, on ne peut faire, paradoxalement, l'économie des représentations mithriaques pour comprendre les conditions de reprise politique et religieuse de ce thème par le nationalisme perse sassanide. On assiste à un déclin immédiat de la figure tutélaire de Mithra au moment de cette restauration. En effet, si les Séleucides et les Parthes ont affiché sans détour leur appartenance à ce dieu (on compte une dizaine de Mithridate, roi Séleucide, rois des Parthes mais aussi du Pont, de Pergame, de Commagène du Bosphore ou d’Arménie), les Sassanides se sont aussitôt affranchis de cette tradition onomastique. S’appuyant sur les recherches de Jacques Duchesne-Guillemin, Frantz Grenet remarque : « on a proposé, à vrai dire sans preuve, de mettre en rapport cette apparente réserve au sommet de l’Etat avec une volonté de se démarquer des Arsacides dont Mithra avait à l’évidence été la divinité tutélaire »(1). De fait, cette séparation n’est pas aussi tranchée et les dernières recherches autour de Doura-Europos commandent qu’on nuance ces affirmations.
C’est précisément en fonction des données que livre cette « zone-tampon » qu’il est nécessaire de porter un regard nouveau sur la valeur du dieu Mithra au tout début de notre ère. On verra plus loin qu’une réelle codification a finalement permis de distinguer les différents types de nimbe. Les attributions sont précises et cohérentes selon qu’il s’agit de Mithra (ou tout du moins d’une divinité solaire qui peut lui être assimilée), du dieu du feu, ou du souverain lui-même. En effet, à la lumière des travaux récents d’A. David H. Bivar, on constate que si la version romaine du culte de Mithra se soustrait aux éléments iraniens qui ont constitué la figure du dieu, sa valeur ésotérique en revanche n’aurait été en rien abandonnée par les Perses Sassanides, successeurs des Parthes. Au même titre que ces derniers ont beaucoup moins négligé la question Perse dans leur mode de pensée et de création qu’on ne le supposait auparavant, les Sassanides ont su reprendre à leur compte un certain nombre d’éléments du passé : ils suivent paradoxalement l’exemple zélé des Séleucides se revendiquant comme « suiveurs » de la splendeur Achéménide. Là aussi, les idées reçues doivent être révisées : la revendication des Sassanides semble plus consciemment tournée vers les Achéménides, malgré ce que l’on croit communément(2). Mithra occupe une place capitale, relayée par les mages de l’Aniran, déjà particulièrement influents. Ce changement de perspective rend compte plus clairement de la similitude entre plusieurs types de représentations, jusqu'ici inexpliquée. A. D. H. Bivar établit ainsi un parallèle entre l'image du dieu chasseur, visible dans le Mithraeum de Doura-Europos, et la composition cynégétique dans laquelle est mis en scène le souverain Sassanide (Fig. 1). Une recension des représentations royales sassanides met en évidence un nombre majoritaire de figures imposées, éclairant la nature symbolique des scènes, qu’elles peignent l’investiture des souverains ou les victoires sur les empereurs romains ; elle témoignent sans aucun doute d’une codification s’éloignant d’une « literal representation of a real-life scene »(3). La scène de chasse visible à Doura-Europos donne à voir un dieu chasseur tuant à coup de flèches un troupeau de daims et de gazelles, le dieu étant accompagné par trois animaux qu’on a pu identifier : un lion, un sanglier et un serpent (Fig. 2). Sans conteste, ces trois animaux représentent respectivement Mithra, Verethragna et Ahriman, ces deux derniers dieux constituant en quelque sorte des « doublets » de Mithra, l’un figurant la victoire, l’autre le côté « sombre » du dieu. A.D.H. Bivar dégage dans l’iconographie de la chasse Sassanide deux formes principales de traitement : l’une où le souverain est aux prises avec des bêtes féroces, l’autre où il s’adonne à la curée d’animaux inoffensifs.

Ce dernier type de scène, outre le fait qu’il illustre comme le premier le privilège hautement aristocratique de l’activité de la chasse, porte une valeur symbolique forte. Le parallèle qu’il n’est pas difficile d’établir entre la scène du Mithraeum de Doura-Europos et le corpus de la curée Sassanide met en lumière la volonté de traduire une fonction particulière du souverain : celle qui lui permet, au même titre que Mithra, de faire valoir sa position de juge ici-bas. Détenteur du pouvoir de vie ou de mort sur ses sujets, le souverain est investi d’une fonction qui est propre au Mithra dieu de la mort, dieu du jugement des morts (selon Zoroastre), ainsi que, eu égard à son interprétation ésotérique mithriaque, créateur de la vie. Emissaire d’Ahura Mazdâ, selon la stricte interprétation faite par le zoroastrisme, Mithra a gagné une nouvelle prérogative. Cette dernière transparaît nettement dans le parallèle effectué par A.D.H. Bivar : « like Mithra himself, the king wields arbitrary power of life and death in the cause of Iranshahr, the Sasanian Empire : to daunt the evildoer, and to defy the kingdom’s enemies. To act out that role may indeed be the core of the obligation to hunt, and its admitted sanctity »(4). Il est donc prouvé ici que l’élaboration de la figure de Mithra dans la doctrine Sassanide n’aura été nullement imperméable à une interprétation issue des zones périphériques, à l’image de la place forte de Doura-Europos dont on connaît le rôle qu’elle joua en tant que zone de rencontre de la culture grecque et de la culture Parthe. On notera par exemple que, malgré la contamination patente de la figure mithriaque par la religion à mystères en développement depuis un siècle, la frappe d’une monnaie cilicienne témoigne d’une vision différente de Mithra, certes immolant le taureau, mais radié (Fig. 3). Cette frappe mérite d’autant plus d’être signalée qu’elle a eu lieu à Tarse, en Cilicie, voisine de la Commagène, au moment du départ de la campagne de Gordien III contre des Sassanides à peine arrivés au pouvoir(5). On notera également que le Mithraeum de Doura-Europos donne à voir une représentation d’une vierge nimbée(6). La ressemblance frappante du souverain Sassanide avec ce dieu chasseur mettrait donc en lumière le versant mithriaque d’inspiration hellénistique de la nature divine du roi Sassanide.
Mais une autre donnée vient éclairer plus nettement les raisons d’associer le nimbe à la figure de Mithra. La plaque en stuc découverte à Châl Tarkhân, et qui date de la dernière période Sassanide, présente un personnage chevauchant un cerf. On y reconnaît, selon les interprétations, soit une figure héroïque, soit un roi légendaire (Fig. 4). La présence d’un nimbe radial indique que le sujet serait un dieu, probablement solaire. L’aspect radial du nimbe, on le voit, trahit la nature divine de celui qui en est le porteur, au même titre que la figure héliocéphale du Mithra de Taq-i Bustân. Dans cette scène d’investiture, on décèle également un changement de perspective : outre la dimension guerrière qui semble donc l’avoir emporté sur la question rigoureusement protocolaire, il semble qu’on soit passé d’un élément scellant l’investiture (par le recours à une figure divine), à un rééquilibrage de la représentation canonique du souverain avec les divinités qui l’investissent. Ainsi Mithra et Ahura Mazdâ, à Nemrud-Dagh, comme à Taq-i Bustân, sont-ils représentés désormais comme des hommes aux dimensions égales à celles du roi investi.

Cette plaque en stuc trouve comme parallèle – un parallèle aussi parlant que celui qui fut établi entre le Mithraeum et la représentation du plat en argent décrit plus haut – une autre pièce de la vaisselle en argent où l'on voit le roi Shapur II chevauchant lui aussi un cerf tout en se livrant à l’exécution de l’animal. L’étonnante composition gagne en clarté si l’on établit le rapport suivant : « la façon de représenter le roi sacrifiant le cerf a aussi été rapprochée de Mithra tauroctone qui montre le dieu tirant vers l’arrière la tête du taureau pour lui trancher la gorge »(7). La coïncidence des deux figures révélerait, grâce à ces indices particulièrement convaincants, la nature mithriaque de la posture du souverain. En établissant les points de rencontre avec les quatre représentations étudiés par A.D.H. Bivar on voit bien par quel biais le nimbe présent dans certaines représentations Sassanides, même s’il se distingue de la figure mithriaque héliocéphale à rayons exocycliques, puise ses origines dans le culte de Mithra.
Cette dernière conclusion nous amène à nous demander en quoi le xvarenah/xvarrah peut être relié à l’élément mithriaque et en quoi une cohabitation de ces éléments est possible dans la figure du nimbe. C’est par ce canal qu’on peut enfin accéder à une solidarité plus claire du xvarenah avec les éléments constitutifs de l’image du nimbe. Si Mithra incarne la loyauté, il porte en lui aussi une part sombre, celle d’Ahriman(8). Mais sa nature solaire est indéniable, et outre le rôle de yazata accueillant l’âme après la mort du défunt, son rôle de contractuel l’amène à lier le monde. Il est le plus lumineux des yazata. Or si son ancienne fonction le rapprochait du roi-prêtre (alors que son double Varuna était doué du ksatra, la force guerrière), il se trouve désormais nanti d’un caractère guerrier, comme l’atteste l’Avesta. La prévalence d’Ahura Mazdâ ne le congédie pas, au contraire, et c’est associé, on l’a vu dans la peinture de Doura-Europos, à Verethragna, yazata de la victoire, qu’il participe activement à l’investiture des rois Sassanides.
Bahram correspond au Verethragna de l’Avesta, le grand dieu des guerriers. Dans ses épithètes transparaît un rattachement à des origines pré-zoroastriennes, issu d’un panthéon archaïque indo-iranien(9) et surtout une grande polyvalence : épithètes se rapportant à la force, à la paix, à la virilité, à une origine directement issue de l’action d’Ahura, mais également au xvarenah : barô.xvarenah - « portant le xvarenah- ». Il est considéré, en tant que personnification de la force offensive irrésistible, comme étant xvarenanuhastemô (Yt. 14.3), « celui qui est le plus doté en xvarenah- ».
L’importance de ce dieu, qui se traduit notamment dans l’onomastique des souverains Sassanides (contrairement à Mithra), se décline sur plusieurs plans : la notion de victoire, d’abord guerrière, puis plus généralement épithétique, qu’on trouve dans le nom d’Âtash Bahrâm, lequel réunit les trois grands feux sacrés (victoire qui appelle donc à une représentation particulière)(10) ; son rapport avec le xvarenah ; son lien avec Mithra. Le terme « brillance » dont est nanti Vahrâm (en tant que Verethragna) apparaît dans un texte sassanide capital, les inscriptions du mage Kirdîr, serviteur zélé de Vahram II et responsable de la mort de Mani :
(ligne 33) « ([Et maintenant] cet homme, sosie de Kirdir, et la femme en avant, montent dans le vestibule, et loin en haut... [Et ils] dirent ainsi : « Maintenant ce … un trône [en or ? … et l’homme, sosie de Kirdir … et] la femme sont entrés et s’assirent dans la brillance de Vahrâm. »(11).

Parmi les incarnations de Bahram on trouve en particulier ce qui fonde le nom avestique du dieu, l’oiseau vâregna-. Yt. 14.7-19 : « Verethragna, créé par Ahura, vint à lui au septième temps, s’élançant sous la forme d’un rapace qui (merekhahe kehrpa vârekhnahe) … au-dessous de… au-dessus, et qui est le plus rapide de tous les oiseaux, la plus brillante des créatures volantes (renjishtô fravazemnanâm) ». Or on constate que l’oiseau vâregna - est en lien direct avec le xvarenah. Ainsi, dans le Yasht 19.35 : « La première fois que la Gloire quitta le brillant Yima, la Gloire s’en alla de Yima (hvarenô yimat haca), le fils de Vivanhant, sous la forme (kehrpa) d’un oiseau (merekhahe) Varaghna (vârekhnahe) ».

Yasht 19 qui se poursuit par l’évocation de Mithra se saisissant de ce xvarenah, avant qu’il ne le voie subtilisé par les deux héros Thraetaona et Keresaspa. Jacques Duchesne-Guillemin résume la suite : « Les deux Esprits, le Saint et le Mauvais, se sont disputé la possession du khvarenah, qui se sauve dans le lac Vourukasha (la Caspienne ? la mer d’Aral ?), où Apâm Napât s’en saisit. Là, un chef étranger, ennemi des Mazdéens, cherche par trois fois, à la nage, à s’en emparer, mais en vain, car "il appartient aux peuples aryens, nés et à naître, et au saint Zarathustra". Cette gloire des Aryens est appelée « gloire kavienne », d’après la dynastie des Kavi qui se l’est transmise. Ce n’est pas une exclusivité royale, car Zarathustra a la sienne, et de même le premier couple humain, dont le Bundahishn raconte que, lorsqu’ils étaient encore confondus dans le plant de rhubarbe issu de la semence du Premier Homme, Gayomart, d’où ils allaient naître, leur khvarr planait au-dessus d’eux et que c’était le khvarr des hommes. C’est donc en quelque sorte la « forme humaine », un principe dont ils étaient encore dépourvus et qui allait leur donner l’apparence humaine »(12). Un indice supplémentaire nous est livré, qui concerne une dimension que nous n’avons pas expressément rencontrée jusque-là, à savoir la dimension anthropologique du charisme. C’est un aspect que nous verrons plus loin.
Cependant il nous faut revenir au premier enseignement de cet épisode : la nature aérienne du xvarenah. Associés autant aux vertus guerrières de Bahram qu’au rôle de « contractuel » qui revient à Mithra, la splendeur divine, la gloire et le succès que concentre la notion de xvarenah sont tous trois figurés par une forme volante. Oiseau vâregna- (qu'on peut identifier dans l'oiseau de la monnaie parthe que nous avons vue plus haut), mais aussi « renards volants » qui, rapporte Birûni, étaient au temps des Kayanides ce en quoi se concrétisaient les Xorsand-farrah, c’est-à-dire le xvarenah : la représentation du xvarenah reste une faune volante. Ces renards volants correspondent sans ambiguïté à la figure composite du Sênmurw, « créature dotée d’une queue et d’ailes de paon, de pattes de lion et d’une tête de chien », figure se substituant à celle de Mithra et augurant de jours fastes pour la dynastie(13). Frantz Grenet relevait dans cette mention d’Al Birûni que « les petits animaux qui volent au niveau des têtes des héros dans la peinture sogdienne » peuvent être interprétés comme des images du xvarenah(14) .


Notes :
1 Frantz Grenet, « Mithra, dieu iranien : nouvelles données », Topoi. Orient-Occident, n° 11-1, 2001.
2 A. Sh. Shahbazi, « Early Sasanians' Claim to Achaemenid Heritage », Name-ye Iran-e Bastan, n° 1, 2001. Cf. aussi Clarisse Herrenschmidt, Jean Kellens, « La question du rituel : le mazdéisme ancien et achéménide / The Problem of the Ritual within Ancient and Achaemenidean Mazdaism », Archives des sciences sociales des religions, n° 85, 1994, note 15, p. 65 : « le titre de key (forme évoluée, moyen perse, du vieil-iranien kavi-) accompagne les noms propres des rois sassanides : il ne voulait pas pour autant dire “roi”, comme on l'a pensé, mais il désignait le rattachement des Sassanides aux Achéménides à l'intérieur de la religion, du rite et de la compétence de la parole, et celui des Achéménides au cercle familial de Zarathustra ».
3 A. David. H. Bivar, « The royal hunter and the hunter god : esoteric mithraism under the Sasanians » in Rika Gyselen, ed., Res Orientales VII, Au carrefour des religions, mélanges offerts à Philippe Gignoux, Groupe pour l’étude de la Civilisation du Moyen-Orient, Bures-sur-Yvette, 1995, p. 29.
4 ibid. , p. 32.
5 Robert Turcan, op. cit. p. 25.
6 Jonas C. Greenfield, « The names of the Zodiacal signs in aramaic and hebrew » in Rika Gyselen, ed., Res Orientales VII, Au carrefour des religions, mélanges offerts à Philippe Gignoux, Groupe pour l’étude de la Civilisation du Moyen-Orient, Bures-sur-Yvette, 1995, p. 117, note 99.
7 Prudence O. Harper et Boris Marshak in Françoise Demange, ed. , Les Perses Sassanides. Fastes d’un empire oublié, catalogue de l’exposition, Paris, Editions Findakly, 2006, p. 86.
8 Cf. représentation d’Ahriman sous la forme d’un serpent à Doura-Europos, « that shadowy figure of esoteric Mithraism », A. David. H. Bivar, op. cit. p. 31.
9 P. Thieme, « The “Aryan” Gods of the Mitanni Treaties », JAOS 80, 1960, pp. 312-14.
10 Le Feu Atur Farnbag (de Farr, équivalent de xvarenah, le charisme divin), qui revient éminemment aux prêtres, le Feu Gusnasp (« au cheval mâle »), feu des guerriers et des rois, le Feu Burzin Mihr, qui contient le nom de Mithra et qui protège les agriculteurs relèvent de la plus ancienne des classifications des feux sacrés)
11 Philippe Gignoux, « Les quatre inscriptions du mage Kirdîr, Textes et concordances », Studia Iranica, Cahier 9, 1991, p. 98 (vision de Kirdîr). Ph. Gignoux précise en note 231 pour YTYBWNst : « Cf. Mackenzie (…) qui traduit le mot par « radiance »).
12 Jacques Duchesne-Guillemin, article « Khvarenah », in Paul Poupard, ed., Dictionnaire des Religions, Paris, Presses Universitaires de France, 1984.
13 Frantz Grenet, « Mithra et les planètes dans l’Hindukush central » in Rika Gyselen, ed., Res Orientales VII, Au carrefour des religions, mélanges offerts à Philippe Gignoux, Groupe pour l’étude de la Civilisation du Moyen-Orient, Bures-sur-Yvette, 1995, p. 117.
14 ibid., p. 117, note 46.
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vendredi 27 juillet 2018

Le nimbe sassanide #04


Fig. 1 - Métope du temple d'Athéna à Ilion. Marbre, 0,86 m. Représente Hélios sur son char. Période hellénistique, Pergamon Museum, Berlin.


Fig. 2 - Relief rupestre de Taq-i-Bustân, Iran. Ardeshir II recevant d'Ormazd l'investiture royale sous la protection de Mithra, d'après Jacques Duchesne-Guillemin, Zoroastre, Paris, éd. Robert Laffont, 1975.


Fig. 3 - Bactriane, monnaie d’Hermaeus (avers et revers), d’après Sylloge Nummorum Graecorum [Great-Britain], British Academy, ed., Volume III, The Lockett collection, H. Milford, Oxford University Press, 1938-1949.

III. La figure centrale de Mithra.


Il faut donc chercher ailleurs les indices qui peuvent nous éclairer sur la nature véritable du nimbe : existe-t-il d’autres raisons que la seule référence au farnah qui présideraient à la nature lumineuse du nimbe ? Outre les influences égyptiennes et mésopotamiennes, la contribution de l’élément grec aux ressorts complexes de la formation du nimbe perse est capitale. C’est ce qui se produit au lendemain de la ruine de l’empire Achéménide. Parmi ceux des éléments qui participent aux relations de l’art grec avec l’art iranien, une figure s’impose, que nous avons entrevue : Mithra. Entre la chute de Darius III et la restauration Perse de 224, une longue période intermédiaire voit se succéder l’hégémonie hellénisante des Séleucides et la réalisation de ce patrimoine par leurs vainqueurs et successeurs Parthes. On observe que le poids représentatif du dieu du contrat s’accroît considérablement pendant ce temps dans l’iconographie, jusqu’à rivaliser d’importance avec Ahura Mazdâ.Le dieu Mithra fédère toutes les remises en question qui ont dès l’époque Achéménide touché un mazdéisme en voie de réforme. On pense que Mithra avait été exclu du panthéon achéménide durant la période de la réforme zoroastrienne en raison de sa concurrence ouverte avec Ahura Mazdâ. « Le grand baga (dieu), c’est Ahura Mazdâ » (baga vazraka Auramazdâ hya adadâ)(1), « le grand Ahura Mazdâ, le plus grand des dieux » (Auramazdâ vazraka hya mathishta bagânâm)(2), déclarations de Darius qui laisseraient supposer, sans que cela soit vraiment tranché, que celui-ci aurait été zoroastrien. Il faut évidemment nuancer l’hypothèse d’une occultation totale : les sources grecques, indispensables à la compréhension de la formation du panthéon perse, rapportent ainsi que Darius III aurait fait un serment « par la grande lumière de Mithra » (Plutarque)(3), dévoilant une nouvelle fois la polymorphie du dieu : dieu solaire autant que dieu du contrat. Ce changement d’attitude est déjà sensible sous le règne d’Artaxerxès II comme en témoigne la réhabilitation spectaculaire du dieu, accomplie conjointement avec celle d’Anahita(4). D’après les sources de Plutarque, on assiste donc à l’émergence d’un triumvirat constitué d’un dieu clairement associé à la souveraineté magico-religieuse (Ahura Mazdâ), et de deux divinités aux fonctions polymorphes, Mithra et Anahita, où dominent cependant les vertus guerrières (ou du moins comminatoires).C’est ce modèle qui reste en l’état après la chute de l’empire Achéménide et que les souverains hellénistiques reprennent à leur compte. Le paradigme pourrait avoir fait écho avantageusement aux vertus guerrières prônées par les lieutenants d’Alexandre. On assiste paradoxalement à la « réactivation » d’un symbole belliqueux remontant aux sources proprement indo-aryennes, un phénomène qui atténue de ce fait les influences égyptiennes et mésopotamiennes des représentations divines de la royauté. Les Séleucides s’approprient ce nouveau schème, à l’appui duquel s’exprime leur volonté d’être considérés comme les continuateurs de l’impérialisme Achéménide et, par conséquent, les héritiers de son prestige. A la chute des Séleucides, les Parthes Arsacides s’attribuent à leur tour ce patrimoine, témoignant d’un philhellénisme d’autant plus patent qu’ils semblent montrer en même temps peu d’intérêt à l’égard du substrat perse. Jean Gagé avait diagnostiqué ainsi, dans le fait de ne pas solliciter les Perses pour une participation d’ordre militaire, un refus d’associer la Perside à l’idée de la nation iranienne(5).
Analyse qu’il est nécessaire de nuancer : bien qu’ils portent leur regard vers le modèle grec, les Parthes ne témoignent pas pour autant d’une soumission aveugle à celui-ci. Ils libèrent certes les possibilités de fusion iconographique de deux dieux solaires, l’un, Mithra, d’origine iranienne, l’autre, Hélios, dieu grec du soleil, tous deux, dans leur course solaire, doués de l’omniscience ; mais ils ne participent pas directement à cette fusion, laquelle ne s’exerce réellement que dans les zones périphériques à l’Orbis Parthicus. L’aptitude nouvelle de Mithra à s’adapter à d’autres dieux serait paradoxalement la conséquence d’une entreprise spécifiquement parthe : exalter le Mithra perse revenait à remettre en vigueur toutes les vertus et les pouvoirs qui le caractérisaient. Ferment exceptionnel d’un futur courant d’influences touchant tout l’Orient ; mais pour le pouvoir Parthe, volonté spécifique de restituer d’abord au dieu toutes ses lettres de noblesse dans un but précis de « réidentification nationaliste » ; c’est ce que démontre Jozef Wolski : « pour résister aux Romains, les Parthes avaient recours à l'idéologie iranienne, elle seule étant à même de les aider dans la lutte contre Rome »(6). Cette « résistance grandissante des Parthes » aurait eu pour effet « l'affaiblissement graduel de l'ascendant grec »(7). Elle remet donc en cause la double thèse d’un rejet total du substrat perse et d’une emprise grecque exclusive sur les modèles d’identification parthes. (On verra cependant plus loin que Doura-Europos représente une exception du fait de sa fonction première de colonie militaire et de l’extraordinaire vivier d’influences qu’elle aura constitué(8).)La montée en puissance de Mithra met ainsi en branle un long processus d’assimilation, visible dans les « zones-tampon ». Malgré les annexions romaines des satrapies de Commagène, de Cappadoce ou du Pont, le particularisme des dynasties locales résiste à une acculturation brutale (à l’image des Ariarathe de Cappadoce) et garde vivante la double tradition iranienne et hellénistique. Une persistance dont Jean Gagé précise qu’elle aura survécu à toutes les vicissitudes : « La dynastie des Antiochos en Commagène, entre la Haute-Mésopotamie et la Syrie proprement dite, vécut jusqu’au temps de Vespasien, mariant dans les symboles même de ses rois – comme le monument du Nemroud-Dagh le prouve avec évidence – les notions astrologiques proprement syriennes avec le Mithra iranien prêt à l’hégémonie solaire »(9).Constant objet de convoitise durant la longue rivalité entre Rome et la Parthie, l’Arménie est un terrain propice à l’élaboration de figures composites. En 63, au lendemain de la mort de Mithridate, Rome soumet l’Arménie et obtient l’accord d’un condominium. L’Arsacide Tiridate est le nouveau roi d’un pays désormais vassal. En recevant le diadème des mains de Néron, il est déclaré « Roi-Soleil », honneur ambigu s’il en est : Tiridate est à la vérité un récipiendaire soumis de la gloire solaire de l’empereur romain dont on connaît le penchant pour l’apollinisme (dès le Ve siècle avant notre ère, on assiste en effet à une assimilation d’Hélios avec Apollon). Cette distinction honorifique a connu une longue postérité, comme l’illustrerait l’inscription grecque trouvée en Arménie faisant état d’un Hélios Tiridates, roi homonyme ayant vécu au IIIe siècle(10). En Colchide (rappelons qu’Hélios est le père d’Ætès, roi de Colchide), dans une zone située à l’est du Pont, un fragment d’amphore trouvé sur le site de Pichvnari (actuelle Géorgie) atteste le lien entre Mithra et Hélios. Ce fragment, pièce appartenant manifestement à un marchand, témoigne de la popularité de la figure équestre de Mithra, représenté avec ses attributs : un croissant de lune, une étoile et un oiseau. Il prouve que le culte de Mithra existait à l’époque hellénistique dans la région de la Colchide (la couche archéologique dans laquelle a été trouvée cette pièce le prouve sans aucun doute, bien qu’une datation précise ait été impossible), et que ce Mithra trahissait son origine iranienne, la Colchide ayant été une des 19 satrapies de l’Empire Achéménide. « This cult, précise Goscha R. Tsetskhladze, distinguished by its syncretic character, was well suited to blend with the local cults found in Colchis, for the cult of Mithras gradually came to merge with the cult of the Sun, and Helios was a widely venerated deity in Colchis »(11).On sait la destinée de la figure de Mithra dans l’élaboration d’un culte mystérique et du succès considérable qu’elle connaîtra à partir du IIe siècle de notre ère auprès des légions de l’Empire romain. On sait aussi que le culte s’est défait des origines iraniennes du dieu (excepté son association à Ahriman) et que l’imagerie mithriaque se confond avec celle de la tauroctonie. Aussi, la présence en Commagène, – comme en Colchide – de ce dieu durant la période hellénistique, comme l’atteste la date des monuments de Nemrud Dagh, (1er siècle avant J.-C.) prouverait-elle, malgré l’emploi syncrétique de la divinité, que celle-ci reste encore proche du Mithra iranien. Dans l’imagerie sculptée visible sur les monuments de ce site, note Robert Turcan, « l’astrologie et la dexiôsis (nota : le serrement de mains, serment sur le feu de l’autel de feu, emblématique de la valeur contractuelle de Mithra aussi bien à l’époque avestique qu’à l’époque romaine) ont certes leur place aussi, mais Mithra (couronné des rayons solaires) n’est pas le seul dieu qui serre la main du roi : Zeus-Oromasdès, Hercule, la Commagène personnifiée en font autant. Mithra compte comme protecteur officiel du souverain, mais il n’est pas encore le dieu des mystères »(12).

Ce « couronnement des rayons solaires » est particulier à Mithra. Il reste que, du moins en Asie mineure, cette représentation est exceptionnelle : « Representations of Mithra wearing a radiate crown are rare »(13). Tout porte à croire qu’on assiste, sous le règne d’Antiochos, à une élaboration inédite de la figure de Mithra. L’hellénisme de la Commagène qui associe Mithra à plusieurs divinités grecques, dont celle d’Hélios, laisserait entendre que cette association est à l’origine de la figure héliocéphale de Mithra. On pourrait conclure à une influence iconographique directe de la Grèce hellénistique, en prenant en considération l’antiquité de la représentation d’Hélios au nimbe rayonnant, dont le plus ancien exemplaire remonte au IVe siècle avant J.-C. (Fig. 1, relief de la métope d’Ilion visible au Pergamon Museum de Berlin)(14). Cette figure de Cappadoce est d’un intérêt double : elle montre la période intermédiaire où Mithra héliocéphale est une figure qui connaît un succès considérable et dont l’extension vers l’est contribuera à une interpretatio iranica qui se fera à rebours dans les royaumes gréco-bactrien et indo-grec.

Cela voudrait dire qu’à l’époque dont nous parlons, le nimbe à rayons exocycliques pourrait confirmer un apport grec qui serait venu s’adapter à la figure d’Hélios à laquelle, à son tour, s’est substituée celle de Mithra. Il faudrait voir par conséquent dans la figure héliocéphale de Mithra une distribution Apollon-Mithra-Hélios-Hermès au bénéfice des divinités grecques. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Si le Mithra de Commagène est étonnamment proche de celui de Taq-i Bustân, figure rupestre sassanide qu’on date habituellement de 364 de notre ère, le premier est imberbe quand le second est barbu (Fig. 2). Différence d’importance qui révélerait une influence grecque, non pas venue de l’Arménie, mais de l’est de l’Iran, autrement dit des royaumes indo-grec et gréco-bactrien. Frantz Grenet a montré que la figure d’un Mithra barbu doit sa composition au modèle du Zeus nicéphore, dont les plus anciens usages remontent à la période des rois indo-grecs Amyntas et Hermaios (Fig. 3). Il ressort de ces dernières données qu’une participation grecque à l’élaboration de l’attribut céphalique de la royauté Sassanide s’est bien produite, mais d’une manière indirecte, à travers le prisme oriental des royaumes gréco-bactrien et indo-grec. « Ces Grecs que la Grèce a oubliés »(15) ont, semble-t-il, exporté des modèles iraniens que la Parthie triomphante n’a pu elle-même transmettre aux régions limitrophes orientales.

A l’instant où le bouddhisme gagne les rives de la Kunar et du Swât, une possibilité plastique bouleverse l’iconographie de l’exercice du Maître, puisqu’au contact d’un centre de style aux antécédents complexes (modèles romains, éléments charismatiques iraniens, dont la « gloire ignée » d'après
l’expression de F. Grenet), le Bouddha se prête enfin à la possibilité d'être figuré. On sait combien l’hétérogénéité de l’art parthe vient de ce « philhellénisme » omniprésent qui aura imposé la figure de face (comme en témoignent les peintures de Doura-Europos) et charrié des thèmes religieux variés, témoignage d’une grande perméabilité spirituelle (ou du moins idéologique) chez les Parthes, jusqu’au rejet de l’hellénisme et à la réhabilitation des modèles iraniens vers le premier siècle de notre ère. L’usage, dans la numismatique, de la flamme « léchante » semble être apparu à l’instant où s’est imposée cette frontalité. On suppose néanmoins que cette figure, si elle n’est pas spécifiquement grecque, aura paradoxalement été conservée par des grecs en quelque sorte orientalisés qui auront livré « sur un plateau » le signe de la gloire – d’origine iranienne –, représenté par la flamme – d’inspiration « gréco-parthe » avant de devenir « gréco-bouddhique ». La chute de ces derniers vestiges de la conquête alexandrine n’occasionnera nullement la disparition de ces modèles composites. C’est au contraire placé sous l’égide de la tolérance kushane que l’iconographie du Gandhâra prendra toute son ampleur : « La fréquence des divinités iraniennes dans le panthéon monétaire kushan, la présence de xveshkârîk, c’est-à-dire du farn personnifié, la pénétration certaine du bouddhisme en Iran (même réduite) et le rôle de premier plan que jouèrent dans le domaine bouddhique, des personnages comme An Shigao (un prince parthe de la dynastie des Arsacides) sont tous des éléments qui parlent d’une interférence prolongée entre la religion iranienne et la pensée bouddhique en évolution. Le langage figuratif anticlassique semble naître, à son tour, d’un goût autonome et particulier des Kushans, un goût chargé d’inflexions parthes et de notations généralement iraniennes »(16).L’exemple de Bâmiyân (des Bouddhas duquel la célébrité n’a surgi vraiment qu’au lendemain de leur dynamitage) est à ce titre le plus représentatif de ces croisements : « Les influences sassanides y sont mêlées aux écoles bouddhiques et à l’influence gréco-romaine ; sur certaines figures le nimbe est uni, rond ; sur d’autres R. Grousset souligne : “ Nous voyons figurer les symboles astraux solaires ou lunaires dont l’importance fut si considérable dans le panthéon indo-iranien de l’Asie centrale ”. En effet, chose curieuse, dans une de ces peintures, la figure centrale porte la coiffure caractéristique à tête de lion surmontée du ballon solaire qui se détache sur le nimbe rond, uni ; on retrouve donc ici l’exemple sassanide du ballon solaire, augmenté de l’insigne nimbique du disque uni gréco-romain, devenu gréco-bouddhique, et cela précise de façon frappante la filiation de ces nimbes »(17). Le « ballon astral » désigne le corymbe qui surmonte la couronne des souverains sassanides et que M. Collinet-Guérin assimile à un « pré-nimbe »(18). On verra plus loin en quoi ce « ballon astral » se trouve (éventuellement) en lien avec le vrai nimbe. On remarquera que le personnage auquel fait allusion M. Collinet-Guérin est bien nimbé, voire doublement nimbé, puisque, outre le halo qui cerne son chef, le personnage, dont F. Grenet pense qu’il est une image de Mithra, est également entouré d’un large nimbe qu’on pourrait rapprocher de la mandorle byzantine. Faut-il voir dans le « disque uni » une influence gréco-romaine, ou ne faut-il pas plutôt débusquer cette influence dans le large nimbe irisé de courtes crénelures et dont le lien avec la figure héliocéphale hellénistique est patent ? La forme est certes syncrétique, elle est un condensé de modèles hellénistiques et iraniens, elle n’en fait pas moins appel à des archétypes mithriaques clairement conditionnés par le mazdéisme. C’est en tout cas l’avis de F. Grenet : « A Bâmiyân, au cœur même de cette géographie sacrée(19), une autre image de Mithra, antérieure d’un siècle ou un peu plus(20), surmonte le Bouddha de 38 mètres : selon des conventions encore proches des modèles hellénistiques, mais bien étrangères à l’iconographie bouddhique, il est représenté debout sur son char tiré par quatre Pégases qu’entourent des Vents, des kinnaras porteurs du feu du khwarenah, et des déesses dont l’une est Arshtât figurée sous le type d’Athéna Promachos. Bouddhistes et hindous pouvaient appeler Surya ce dieu solaire, mais les Iraniens familiers de la tradition zoroastrienne ne pouvaient se tromper sur sa véritable identité »(21). Le chassé-croisé donne à voir un dosage particulièrement difficile à restituer, ne permettant que très laborieusement de savoir qui de l’hellénisme ou de l’iranisme aura conduit l’élaboration des figures de l’art du Gandhâra. On retiendra cependant que les formes issues des figures héliocéphales sont sans guère de doute des produits spécifiquement grecs et que les autres formes nimbées laissent transparaître un usage plus clairement iranien, engagé consciemment dans la mise en place d’une iconographie du pouvoir.

Le problème du nimbe spécifiquement dévolu au souverain reste entier, dans la mesure où, comme le rappelait Katsumi Tanabe, l’essentiel des nimbes dans la numismatique kushane et, a fortiori, dans les représentations bouddhiques du Gandhâra, porte sur des êtres de nature divine et non royale : « In the present author’s opinion, it was nothing but the world of endless light, e.g., the Zoroastrian anagr roshnîh where Ahura Mazda hand fravashis and other gods reside eternally »(22). Il s’ensuit que les conditions d’élaboration du nimbe dans l’art « gréco-bouddhique » restent éloignées du souci de figurer le souverain sous les espèces de la descendance divine.

Notes :
1 Darius, Naqsh-i-Rustam B. (DNb), ligne 1.
2 Darius, Persepolis D. (DPd), lignes 1-2.
3 Bruno Jacobs, op. cit. p. 55.
4 Pierre Briant, « Le roi est mort : vive le roi ! », in Jean Kellens, ed., La religion iranienne à l’époque Achéménide, Actes du Colloque de Liège, 11 décembre 1987, Gent, Iranica Antiqua, Supplément V, 1991, p. 7. Voir aussi Jacques Duchesne-Guillemin, op. cit. p. 88.
5 « L’absence du facteur national perse dans le régime Parthe se traduit par la médiocrité des levées militaires demandées par les Arsacides ou leurs vassaux aux purs Iraniens de Perside (le Farz) ». Jean Gagé, La montée des Sassanides et l’heure de Palmyre, Paris, Albin Michel, 1964, p. 87.
6 Jozef Wolski, « Les Parthes et leur attitude envers le monde gréco-romain », Dialogues d'histoire ancienne, n° 2, 1976, p. 285.
7 ibid., p. 285.
8 Isabelle Pimouguet-Pédarros, « Doura, Études IV : Doura-Europos, Études IV, 1991-1993 », Dialogues d'histoire ancienne, n° 25-1, 1999, p. 287 : « Après que les Séleucides eurent installé autour de la citadelle une colonie militaire, transformée en ville au milieu du Ile siècle, l'histoire de Doura fut marquée par la présence parthe (113 av. J.-C), puis romaine (165-256) ».
9 Jean Gagé, op. cit. pp. 70-71.
10 ibid., p. 76, qui cite un article de Franz Cumont in Rivista di Filologia, 1933.
11 Gosha R. Tsetskhladze, « The cult of Mithras in ancient Colchis », Revue de l’Histoire des Religions, CCIX-2/1992, Paris, Presses Universitaires de France, p. 124.
12 Robert Turcan, Mithra et le Mithriacisme, Paris, Les Belles Lettres, 1993, pp. 24-25.
13 Gosha R. Tsetskhladze, op. cit. p. 121.
14 Henri-Paul Francfort, op. cit., p. 195. Voir aussi Marthe Collinet-Guérin, ibid. p. 196.
15 Jean Naudou, « L’Inde au temps des invasions : Grecs, Parthes, Scythes et Yue-Tche » in R. Grousset et E. G. Léonard ed., Histoire Universelle, tome I, Des origines à l’Islam, Encyclopédie de la Pléiade, Paris, Editions Gallimard, 1956, p. 1469.
16 Mario Bussagli, L'art du Gandhâra, Torino, Editrice Torinese, 1984, Paris, Librairie Générale Française, 1996 pour la traduction française, p. 199.
17 Marthe Collinet-Guérin, op. cit., p. 247.
18 ibid., p. 69.
19 Voir au chapitre I l’importance de l’idéologie géographique.
20 Par rapport au sanctuaire de Dokhtar-i Nôshirvân, Hindukush, qui met en scène une grandiose composition mithriaque.
21 Frantz Grenet, « Mithra et les planètes dans l’Hindukush central » in Rika Gyselen, ed., Res Orientales VII, Au carrefour des religions, mélanges offerts à Philippe Gignoux, Groupe pour l’étude de la Civilisation du Moyen-Orient, Bures-sur-Yvette, 1995, p. 109.
22 Katsumi Tanabe, « A study of the Sasanian disk-nimbus : farewell to its xvarnah-theory », Bulletin of the Ancient Orient Museum 6, 1984, p. 33.
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